Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique
question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du
Temps qui brise vos épaules et vous penche vers
la terre, il faut vous enivrez sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie ou de vertu, à votre
guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur
l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de
votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà
diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague,
à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit,
à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce
qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle
heure il est; et le vent, l'étoile, l'oiseau, l'horloge,
vous répondront : " Il est l'heure de s'enivrer!
Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous; enivrez-vous sans cesse! De vin,
de poésie ou de vertu, à votre guise."
Beaudelaire - Le Spleen de Paris
lundi 19 juillet 2010
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