lundi 28 janvier 2008
Un puncher nommé Tsonga
Il a des faux airs de l'ancien champion de boxe Mohamed Ali...
mais c'est vers le tennis qu'il s'est dirigé et, s'il a "assommé"
ses adversaires lors des récents Internationaux d'Australie,
ce n'est pas par des uppercuts, des crochets au foie
ou des directs à la face...mais avec des aces, des coups droits
gagnants et des smashs bien appuyés!
La liste de ses victimes "mises KO" impressionne : Andrew
Murray, Richard Gasquet (que ne se sont-ils rencontrés en finale!),
Michaël Youzny et surtout Rafaël Nadal expédié au tapis
en trois sets expéditifs(6-2, 6-4, 6-2) par notre Cassius Clay...
enfin je veux dire notre Jo-Wilfried Tsonga national,
en état de grâce ce jour-là.
Dans la finale qui l'opposa à Novak Djokovic,
notre représentant démarra pied au plancher en empochant
le premier set, l'occasion pour nous de découvrir (et d'admirer)
ses services supersoniques et ses coups droits ravageurs.
Novak Djokovic sembla un instant ébranlé...
Malheureusement Tsonga devait caler par la suite
(peut-être tétanisé par l'importance de l'événement?).
Il faut dire qu'il avait en face de lui le numéro 3 mondial
que beaucoup voient s'installer plus ou moins prochainement
dans le fauteuil de "sa majesté" Federer...
Pas de regrets donc pour Jo-Wilfried qui, sur ce qu'il nous
a montré pendant cette quinzaine, devrait obtenir d'autres
occasions de remporter un tournoi du grand-chelem!
vendredi 18 janvier 2008
Disparition de Bobby Fischer
Bobby Fischer vient de s'éteindre à Reijawik (Islande) où il était
réfugié depuis le mois de mars 2005.
Rappelons - à ceux qui l'ignorerait que Bobby Fischer devient
Champion du Monde des échecs en 1972 en battant Boris Spassky.
Il mit fin ainsi à 25 ans de domination soviétique sur le monde
des échecs.
voir l'article "Adieu à Bobby Fischer" sur le blog de l'Echiquier
Berrichon.
réfugié depuis le mois de mars 2005.
Rappelons - à ceux qui l'ignorerait que Bobby Fischer devient
Champion du Monde des échecs en 1972 en battant Boris Spassky.
Il mit fin ainsi à 25 ans de domination soviétique sur le monde
des échecs.
voir l'article "Adieu à Bobby Fischer" sur le blog de l'Echiquier
Berrichon.
lundi 7 janvier 2008
Le terrain de tennis de la Chaumerette
Ceci fut un cours de tennis - où j'eus l'occasion de jouer
(de manière assez folklorique, d'ailleurs) il y a une
vingtaine d'années.
J'ai retenu de cette expérience qu'au tennis, il faut avant tout
beaucoup courir!
C'était quand même un endroit bien sympathique et...champêtre!
pour poursuivre "la petite balle jaune".
Les grillages qui entouraient le cours ont été retirés
(ce qui a dû être fait relativement récemment).
Y aura-t-il des travaux de faits - ou rien du tout?
L'avenir le dira...
Sans transition, passons à un autre monde tennistique
pour évoquer l'actualité internationale du tennis.
Notons d'abord la très belle victoire de Michaël Llodra en finale
du tournoi d'Adelaïde (dimanche dernier) - la deuxième victoire
en grand prix de sa carrière.
Sans doute encouragés par cet exploit, nos "frenchies" ont effectué
un véritable tir groupé au premier tour du tournoi de Sydney :
qualifications de Richard Gasquet, de Fabrice Santoro ("fabulous
Fab" -35 ans!), de Gilles Simon et de Sébastien Grosjean.
Pour plus de détails, cliquez sur ce lien :
Eurosport
(de manière assez folklorique, d'ailleurs) il y a une
vingtaine d'années.
J'ai retenu de cette expérience qu'au tennis, il faut avant tout
beaucoup courir!
C'était quand même un endroit bien sympathique et...champêtre!
pour poursuivre "la petite balle jaune".
Les grillages qui entouraient le cours ont été retirés
(ce qui a dû être fait relativement récemment).
Y aura-t-il des travaux de faits - ou rien du tout?
L'avenir le dira...
Sans transition, passons à un autre monde tennistique
pour évoquer l'actualité internationale du tennis.
Notons d'abord la très belle victoire de Michaël Llodra en finale
du tournoi d'Adelaïde (dimanche dernier) - la deuxième victoire
en grand prix de sa carrière.
Sans doute encouragés par cet exploit, nos "frenchies" ont effectué
un véritable tir groupé au premier tour du tournoi de Sydney :
qualifications de Richard Gasquet, de Fabrice Santoro ("fabulous
Fab" -35 ans!), de Gilles Simon et de Sébastien Grosjean.
Pour plus de détails, cliquez sur ce lien :
Eurosport
4 heures et demie...
...dans "la maison de Billy".
Félicitons d'abord Jean-Paul pour son récit : "Un singulier
lecteur". Pas évident pour quelqu'un qui n'est pas un professionnel
de l'écriture d'écrire une nouvelle et je trouve qu'il s'en est très
bien tiré!
Il faudrait que je lui en commande une autre...
Et souhaitons bonne fête à Raymond (7 ans)!
J'espère qu'il nous entendra à 150 kilomètres de distance mais
grâce aux miracles de l'électronique, tout est possible.
Un singulier lecteur (3)
Chapitre III : le secret de Gilbert
Il se passa quelques jours, quelques semaines peut-être pendant
lesquelles je ne le revis pas. Je m'en étonnais. Je fis un petit mot
à son attention, que je demandais à la bibliothécaire de lui
remettre, puisqu'elle avait plus de chances de le revoir avant moi.
Et le vendredi suivant il était là. La bibliothécaire me fit signe,
elle lui avait remis le mot. Je lui avais effectivement demandé
de me rapporter ce livre que je lui avais prêté. C'était "L'attrape-
coeurs" de Salinger dans l'excellente première traduction qui
en avait été faite. Gilbert avait été passionné quand j'avais tracé
à grands traits le récit de ce roman. Manifestement il n'avait pas
pris connaissance de mon mot. Et lorsque je lui demandai s'il
avait bien aimé le livre, je pris conscience de son désarroi.
C'était étonnant; une vraie détresse. Je l'entraînai à l'extérieur,
car je pressentai que ce trouble allait se muer dans un événement
qui nous dépasserait tous les deux. Arrivé sur le trottoir,
il éclata en sanglots. Je l'entraînais vers ma voiture, plus à cause
de mon incapacité à affronter une telle situation devant les
passants qui commençaient à s'arrêter, que par réelle compassion.
Il venait de me faire comprendre qu'il ne savait pas lire.
Mais surtout il avait voulu que je le sache.
Dans la première conversation que nous eûmes dans l'auto, avec
beaucoup de précautions j'essayais de le persuader que le fait
d'en avoir parlé lui avait fait parcourir la moitié du chemin
vers un accès rapide à la lecture.
Et c'est effectivement ce qui s'était passé. Une de mes amies
spécialistes de ce genre de situations avait, en quelques mois,
permis à Gilbert de maîtriser totalement cet univers qui lui
avait été à la fois si proche et si lointain.
Puis nos relations se sont espacées sinon distendues.
Je comprenais que, bien que je fus plus ou moins à l'origine
de sa réelle transformation, il tenait à prendre de la distance.
De mon côté je ne souhaitais pas qu'il me soit reconnaissant de
quoi que ce soit car je n'avais pas été spécialement perpicace
dans cette situation. Il m'avait raconté comment, grâce aux
émissions de télé et ses discussions avec les bibliothécaires
il favait pu tenir des discours crédibles sur des ouvrages
qu'il n'avait pas lus et surtout pas pu lire.
Son père, je l'avais soupçonné, était illettré. Et je m'en étais
rendu compte, Gillbert aimait beaucoup son père. Cet amour
filial l'avait empêché de "grandir", comme avait prétendu le
psychologue. D'autres explications encore plus compliquées
m'avaient été assénées. Gilbert ayant perdu son père quelques
temps avant de me rencontrer, avait reporté cette image du père
sur moi; mais comme moi je savais lire et que je n'étais pas
son père il avait pu "inconsciemment" se permettre d'avouer
sa vérité et "grandir".
Quelques années après j'ai su qu'il avait intégré une faculté
de lettres.
Depuis trois ans il avait rompu avec la tradition des souhaits
épistolaires de nouvel an. J'ai donc ouvert cette lettre à la fois
intrigué et heureux. Il me racontait son installation à Paris, sa
liaison depuis un an avec une jeune femme originaire du Berry.
Il ajoutait enfin : "Par ailleurs, je viens d'être nommé directeur
de collections dans une grande maison d'édition.". J'ai apprécié
ce "Par ailleurs". Gilbet avait réellement le talent modeste.
Revenu dans cette région, je fréquente encore cette
bibliothèque. J'observe parfois lectrices ou lecteurs, attentifs
ou distraits, l'air serein. Il m'a fallu du temps pour comprendre
que la bibliothèque nous enferme et nous délivre tour à tour mais
surtout nous aide à grandir... comme aurait dit le psychologue.
(nouvelle de Jean-Paul Barriol)
Il se passa quelques jours, quelques semaines peut-être pendant
lesquelles je ne le revis pas. Je m'en étonnais. Je fis un petit mot
à son attention, que je demandais à la bibliothécaire de lui
remettre, puisqu'elle avait plus de chances de le revoir avant moi.
Et le vendredi suivant il était là. La bibliothécaire me fit signe,
elle lui avait remis le mot. Je lui avais effectivement demandé
de me rapporter ce livre que je lui avais prêté. C'était "L'attrape-
coeurs" de Salinger dans l'excellente première traduction qui
en avait été faite. Gilbert avait été passionné quand j'avais tracé
à grands traits le récit de ce roman. Manifestement il n'avait pas
pris connaissance de mon mot. Et lorsque je lui demandai s'il
avait bien aimé le livre, je pris conscience de son désarroi.
C'était étonnant; une vraie détresse. Je l'entraînai à l'extérieur,
car je pressentai que ce trouble allait se muer dans un événement
qui nous dépasserait tous les deux. Arrivé sur le trottoir,
il éclata en sanglots. Je l'entraînais vers ma voiture, plus à cause
de mon incapacité à affronter une telle situation devant les
passants qui commençaient à s'arrêter, que par réelle compassion.
Il venait de me faire comprendre qu'il ne savait pas lire.
Mais surtout il avait voulu que je le sache.
Dans la première conversation que nous eûmes dans l'auto, avec
beaucoup de précautions j'essayais de le persuader que le fait
d'en avoir parlé lui avait fait parcourir la moitié du chemin
vers un accès rapide à la lecture.
Et c'est effectivement ce qui s'était passé. Une de mes amies
spécialistes de ce genre de situations avait, en quelques mois,
permis à Gilbert de maîtriser totalement cet univers qui lui
avait été à la fois si proche et si lointain.
Puis nos relations se sont espacées sinon distendues.
Je comprenais que, bien que je fus plus ou moins à l'origine
de sa réelle transformation, il tenait à prendre de la distance.
De mon côté je ne souhaitais pas qu'il me soit reconnaissant de
quoi que ce soit car je n'avais pas été spécialement perpicace
dans cette situation. Il m'avait raconté comment, grâce aux
émissions de télé et ses discussions avec les bibliothécaires
il favait pu tenir des discours crédibles sur des ouvrages
qu'il n'avait pas lus et surtout pas pu lire.
Son père, je l'avais soupçonné, était illettré. Et je m'en étais
rendu compte, Gillbert aimait beaucoup son père. Cet amour
filial l'avait empêché de "grandir", comme avait prétendu le
psychologue. D'autres explications encore plus compliquées
m'avaient été assénées. Gilbert ayant perdu son père quelques
temps avant de me rencontrer, avait reporté cette image du père
sur moi; mais comme moi je savais lire et que je n'étais pas
son père il avait pu "inconsciemment" se permettre d'avouer
sa vérité et "grandir".
Quelques années après j'ai su qu'il avait intégré une faculté
de lettres.
Depuis trois ans il avait rompu avec la tradition des souhaits
épistolaires de nouvel an. J'ai donc ouvert cette lettre à la fois
intrigué et heureux. Il me racontait son installation à Paris, sa
liaison depuis un an avec une jeune femme originaire du Berry.
Il ajoutait enfin : "Par ailleurs, je viens d'être nommé directeur
de collections dans une grande maison d'édition.". J'ai apprécié
ce "Par ailleurs". Gilbet avait réellement le talent modeste.
Revenu dans cette région, je fréquente encore cette
bibliothèque. J'observe parfois lectrices ou lecteurs, attentifs
ou distraits, l'air serein. Il m'a fallu du temps pour comprendre
que la bibliothèque nous enferme et nous délivre tour à tour mais
surtout nous aide à grandir... comme aurait dit le psychologue.
(nouvelle de Jean-Paul Barriol)
jeudi 3 janvier 2008
Un singulier lecteur (2)
Chapitre II : Gilbert
En dehors du mercredi, où grâce à mon nouveau statut je pouvais
jouer avec mes enfants toute la journée, je fréquentais cette
bibliothèque assidûment tout au long de la semaine. Au bout
de quelque temps, j'étais étonné de voir presque tous les jours
un jeune garçon qui normalement aurait dû être au collège ou
au lycée. Il se tenait dans une sorte de recoin au fond où l'on
pouvait consulter quotidiens et revues. Un après-midi je décidai
de l'aborder car ma curiosité l'emportait sur cette espèce
de retenue qui m'empêche souvent de parler spontanément à des
inconnus dans un lieu public. Il lisait ou plutôt feuilletait une
édition luxueuse illustrée qui réunissait plusieurs romans de
Graham Greene. Je connaissais cette édition pour l'avoir offert
à la jeune femme que j'aimais, au début des années soixante.
Comme entrée en matière c'était pas mal!
Après avoir échangé quelques mots,
je lui dis que parfois je me sentais comme ce prêtre, héros du
"Fonds du problème", lequel roman figurait j'en étais sûr dans
cette édition. Je me rendis compte immédiatement de ma bévue,
car je confondais bien évidemment avec "La puissance et la gloire".
Il ne releva pas cette bourde. En retour il me dit que lui parfois
se sentait roux à l'intérieur. Je rigolais et ajoutais qu'à nous deux
on pouvait prétendre à une réincarnation de Vivaldi, le prêtre
roux. Il se mit à fredonner un air qui ressemblait
aux "Quatre saisons".
Ce jour-là, il me quitta rapidement, ayant me dit-il des courses
urgentes à faire.
Je le revis la semaine d'après. Je ne lui posais aucune question sur
sa présence incongrue et notre discussion porta sur les prix
littéraires et sur certains lauréats. Il fit une analyse extrèmement
pertinente à mon sens sur le Goncourt de l'année. Il se trouvait
que je l'avais lu grâce à ma nouvelle grande disponibilité.
J'étais totalement séduit par la justesse de ses arguments, encore
que je ne les partageasse pas tous.
Il m'avait parlé de ce roman de Combescot
comme aurait pu en parler un critique du "Masque
et la plume"; ce qui me stupéfiait d'autant plus,
à cause de son jeune âge.
Durant cette période, il me parlait souvent de l'émission télé
"Apostrophes" qu'il semblait ne jamais vouloir manquer. Pour
ma part j'étais assez réservé sur le rôle positif de Bernard Pivot
qui faisait l'unanimité sur son émission. Il se trouve que j'ai bien
connu Bernard Pivot, jeune, à Lyon. Mais ma réserve ne trouvait
pas son origine dans cette relation. Je trouvais même assez
sympathique que l'émission littéraire la plus célèbre de France
contribue d'une certaine façon à encourager la lecture d'ouvrages
d'intérêt discutable certes, mais après tout le lecteur reste le seul
juge. Je conseillais à Gilbert, qui me tutoyait désormais, d'écouter
France Culture où là, il trouverait les bons auteurs.
Une autre caractéristique des lectures de Gilbert c'était son goût
pour les bandes dessinées. Dans ce domaine mon indigence était
complète car j'avais cessé de lire des bandes dessinées vers l'âge
de onze ans ce qui m'interdisait un quelconque point de vue.
Je m'interrogeais sur l'intérêt que je portais à ce Gilbert qui
connaissait tous les romans parus dans l'année écoulée, mais
semblait ignorer Céline ou Faulkner.
Il m'avait pourtant assuré que le bac en poche, il avait raté
l'inscription dans une école "d'assistantes sociales" et attendait
la rentrée prochaine pour aller dans une fac de droit.
J'avais remarqué que parfois il tripotait ses lunettes, les enlevant
puis les remettant un peu à la manière de son idole à la télé,
ce qui m'amusait beaucoup. Je lui avais demandé s'il en avait
réellement besoin pour lire, mais sa réponse fut suffisamment
confuse pour que je m'abstienne de tout autre commentaire.
Ce même jour, envahi par je ne sais quelle flemme, je le priais
d'aller chercher pour moi un ouvrage à l'autre bout de la
bibliothèque, et que je savais être en rayon.
Au bout d'un long moment il revint, me disant qu'il n'avait pas
trouvé l'ouvrage en question; je n'insistais pas. Je lui demandais
simplement s'il n'avait pas passé tout ce temps à flirter avec
la jeune bibliothécaire, ce qui le fit sourire. J'avais employé
je me souviens le terme "flirter" à dessein et non pas "draguer"
ou "faire du gringue", car malgré ou à cause de sa condition
sociale que je percevais assez modeste je savais que
l'interrogation l'avait certainement flatté, mais qu'une
expression un peu crue l'aurait embarassé.
A quelque temps de là je me souviens avoir été seul à la maison.
J'avais donc convié Gilbert à déjeuner au restaurant en ma
compagnie et après avoir hésité, il avait finalement accepté.
Pour ma part, j'ai horreur des restaurants. On y mange
mal, on attend, souvent dans le brouhaha des voisins
qui veulent à tout prix vous faire bénéficier de leur conversation.
Je me plongeais dans l'examen des menus, ce qui me procure
toujours l'anxiété d'avoir à choisir, la qualité, la quantité, le temps
qu'il va falloir attendre sans rien dans mon assiette.
Comme moi Gilbert examinait attentivement le menu.
Avant d'avoir exprimé mon choix il déclara qu'il prenait
"comme toi". Devant mon étonnement il me dit que c'était
pour synchroniser nos repas et qu'il avait oublié ses lunettes.
Je suis sûr qu'il employa le terme "synchroniser".
Ce jour-là j'appris qu'il vivait chez ses grands-parents,
ses parents étant morts quelques années auparavant
dans un accident de voiture.
Je lui parlais de mes soucis, de mes anciens employeurs,
de la difficulté à allier éthique, solidarité et efficacité
dans un travail salarié. J'appris que son père avait été
employé comme ouvrier de fabrication dans la même boîte
que je venais de quitter. Gilbert me raconta que son père
avait été mis à pied parce qu'il avait confondu deux sacs
de produits chimiques dont il n'avait pas su interpréter
la destination. Le contre maître furieux, lui avait dit
qu'il aurait pu faire sauter l'usine. Je reconnaissais bien là
les méthodes expéditives et irresponsables des soi-disant
responsables! D'une certaine façon, cette conversation
nous mettait presque sur un pied d'égalité.
L'incident dont son père avait été victime à l'usine avait
certainement son origine dans une mauvaise maîtrise
de la lecture et de la langue. J'encourageais vivement
Gilbert, bien que ça ne soit pas réellement nécessaire,
à fréquenter les bibliothèques.
(nouvelle de Jean-Paul Barriol)
Un singulier lecteur (1)
Chapitre I : Introduction
Ce matin-là, j'avais une lettre au courrier. Je ne reçois plus
beaucoup de lettres, non seulement parce que je suis devenu
un peu sauvage, mais aussi à cause de l'électronique qui
transmet les courriers de mes correspondants. La lettre a bien
failli disparaître, car elle était imbriquée dans des prospectus
de publicité qui vont directement à la poubelle. Je sais que
c'est idiot mais j'hésite toujours à renoncer à la distribution
de cette publicité, pensant ainsi retarder la disparition de la
factrice et de son sourire. J'ai donc récupéré in extremis cette
lettre. L'expéditeur avait eu le bon goût d'indiquer son nom
au dos de l'enveloppe. Gilbert. Ca faisait un bout de temps
que j'avais eu de ses nouvelles. Cette lettre me ramenait une
fois de plus quinze ans en arrière.
Je venais d'être viré de la boîte qui m'employait. J'avais ferraillé
pendant quelques temps avec mes patrons, mais finalement
ils avaient gagné. J'avais été chargé deux ans auparavant de
la construction et de la mise en route d'un nouveau procédé
qui aboutissait à la création d'une molécule, base d'un
médicament très prometteur. Pour obtenir cette molécule
finale, il fallait autant que je me souvienne quatre ou cinq
passages, c'est à dire quatre ou cinq réactions dans des ateliers
différents. Le procédé au total n'était pas très compliqué.
Mais une de ces réactions faisait intervenir du phosgène, gaz
hautement toxique. J'avais donc insisté pour que la réaction
en question soit faite en mode opératoire discontinu ce qui
permettait de limiter les risques. Mais limiter les risques c'était
aussi abaisser légèrement la rentabilité. Pour ma part j'avais
le souvenir de l'affaire de Seveso qui continuait à m'effrayer.
Ma position n'était pas celle d'un humaniste, mais je savais
qu'en cas de pépin mes patrons sauraient bien évidemment
me faire porter le chapeau. Il n'était pas question pour moi
de démarrer la fabrication dans ces conditions. Voyant ma
détermination, mes patrons avait fait débarquer un directeur
de la holding américaine. Le lendemain, j'étais viré. La société
voulant éviter une mauvaise publicité avait accompagné mon
renvoi d'une somme assez exceptionnellement élevée pour
ce genre de situation.
J'entrais donc dans une période de grande disponibilité. Je savais
que je ne retrouverais pas de travail dans la région. Mais avant
de quitter ce coin de pays qui m'enchantait, je voulais profiter
de ce temps libre pour faire des choses agréables. Une de ces
choses agréables consistait à passer de longs moments à la
bibliothèque municipale, ce que j'avais beaucoup négligé dans
la dernière période.
J'avais fréquenté un certain nombre de bibliothèques
auparavant. Des plus prestigieuses certainement; de celles qu'on
voit à la télévision ou même dans certains films. De celles qui
d'emblée vous confèrent un statut de quasi intellectuel. De celles
où règne un silence, où parfois un chuuutt vient interrompre
quelques distraits oubliant le lieu sacré où l'écrit a fait fuir
la parole. Tel n'était pas le cas de celle-ci, grâce à la fois à une
configuration des lieux qui permettait le dialogue à voix basse
sans réellement déranger, et surtout à une bienveillante
considération des deux jeunes femmes bibliothécaires, à la fois
prévenantes mais un peu trop distantes à mon goût.
Comme dans nombre d'établissements similaires, la totalité
des meubles et rayonnages étaient en bois. Ceci même
à l'époque semblait un luxe pour beaucoup. Et puis, ce qui était
un émerveillement pour moi, en fin d'après-midi entre quatre
et cinq heures, le soleil entrait à profusion et dessinait à travers
les rayonnages des pinceaux lumineux sur la reliure des livres
et sur le sol. Je me sentais à la fois isolé mais toujours conscient
du monde à l'extérieur par un léger bruit de fond en provenance
de la route et qui parvenait très étouffé dans cet îlot de calme.
(nouvelle de Jean-Paul Barriol)
Ce matin-là, j'avais une lettre au courrier. Je ne reçois plus
beaucoup de lettres, non seulement parce que je suis devenu
un peu sauvage, mais aussi à cause de l'électronique qui
transmet les courriers de mes correspondants. La lettre a bien
failli disparaître, car elle était imbriquée dans des prospectus
de publicité qui vont directement à la poubelle. Je sais que
c'est idiot mais j'hésite toujours à renoncer à la distribution
de cette publicité, pensant ainsi retarder la disparition de la
factrice et de son sourire. J'ai donc récupéré in extremis cette
lettre. L'expéditeur avait eu le bon goût d'indiquer son nom
au dos de l'enveloppe. Gilbert. Ca faisait un bout de temps
que j'avais eu de ses nouvelles. Cette lettre me ramenait une
fois de plus quinze ans en arrière.
Je venais d'être viré de la boîte qui m'employait. J'avais ferraillé
pendant quelques temps avec mes patrons, mais finalement
ils avaient gagné. J'avais été chargé deux ans auparavant de
la construction et de la mise en route d'un nouveau procédé
qui aboutissait à la création d'une molécule, base d'un
médicament très prometteur. Pour obtenir cette molécule
finale, il fallait autant que je me souvienne quatre ou cinq
passages, c'est à dire quatre ou cinq réactions dans des ateliers
différents. Le procédé au total n'était pas très compliqué.
Mais une de ces réactions faisait intervenir du phosgène, gaz
hautement toxique. J'avais donc insisté pour que la réaction
en question soit faite en mode opératoire discontinu ce qui
permettait de limiter les risques. Mais limiter les risques c'était
aussi abaisser légèrement la rentabilité. Pour ma part j'avais
le souvenir de l'affaire de Seveso qui continuait à m'effrayer.
Ma position n'était pas celle d'un humaniste, mais je savais
qu'en cas de pépin mes patrons sauraient bien évidemment
me faire porter le chapeau. Il n'était pas question pour moi
de démarrer la fabrication dans ces conditions. Voyant ma
détermination, mes patrons avait fait débarquer un directeur
de la holding américaine. Le lendemain, j'étais viré. La société
voulant éviter une mauvaise publicité avait accompagné mon
renvoi d'une somme assez exceptionnellement élevée pour
ce genre de situation.
J'entrais donc dans une période de grande disponibilité. Je savais
que je ne retrouverais pas de travail dans la région. Mais avant
de quitter ce coin de pays qui m'enchantait, je voulais profiter
de ce temps libre pour faire des choses agréables. Une de ces
choses agréables consistait à passer de longs moments à la
bibliothèque municipale, ce que j'avais beaucoup négligé dans
la dernière période.
J'avais fréquenté un certain nombre de bibliothèques
auparavant. Des plus prestigieuses certainement; de celles qu'on
voit à la télévision ou même dans certains films. De celles qui
d'emblée vous confèrent un statut de quasi intellectuel. De celles
où règne un silence, où parfois un chuuutt vient interrompre
quelques distraits oubliant le lieu sacré où l'écrit a fait fuir
la parole. Tel n'était pas le cas de celle-ci, grâce à la fois à une
configuration des lieux qui permettait le dialogue à voix basse
sans réellement déranger, et surtout à une bienveillante
considération des deux jeunes femmes bibliothécaires, à la fois
prévenantes mais un peu trop distantes à mon goût.
Comme dans nombre d'établissements similaires, la totalité
des meubles et rayonnages étaient en bois. Ceci même
à l'époque semblait un luxe pour beaucoup. Et puis, ce qui était
un émerveillement pour moi, en fin d'après-midi entre quatre
et cinq heures, le soleil entrait à profusion et dessinait à travers
les rayonnages des pinceaux lumineux sur la reliure des livres
et sur le sol. Je me sentais à la fois isolé mais toujours conscient
du monde à l'extérieur par un léger bruit de fond en provenance
de la route et qui parvenait très étouffé dans cet îlot de calme.
(nouvelle de Jean-Paul Barriol)
mardi 1 janvier 2008
Jean-Paul Barriol, l'auteur d' "Un singulier lecteur"
Jean-Paul est un ami que j'estime beaucoup.
Récemment, il m'a présenté une nouvelle qu'il avait rédigée
à l'occasion d'un concours organisé par la bibliothèque
d'Argenton sur Creuse et intitulée : "Un singulier lecteur".
J'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce récit et,
tout naturellement, quand j'ai créé "la maison de Billy",
j'ai proposé à Jean-Paul de faire partager ce plaisir
aux visiteurs de mon blog.
Ce qu'il a accepté, et je l'en remercie.
Pour la commodité de sa publication, j'ai divisé
"Un singulier lecteur" en trois parties :
1 - Introduction
2 - Gilbert
3 - Le secret de Gilbert.
Récemment, il m'a présenté une nouvelle qu'il avait rédigée
à l'occasion d'un concours organisé par la bibliothèque
d'Argenton sur Creuse et intitulée : "Un singulier lecteur".
J'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce récit et,
tout naturellement, quand j'ai créé "la maison de Billy",
j'ai proposé à Jean-Paul de faire partager ce plaisir
aux visiteurs de mon blog.
Ce qu'il a accepté, et je l'en remercie.
Pour la commodité de sa publication, j'ai divisé
"Un singulier lecteur" en trois parties :
1 - Introduction
2 - Gilbert
3 - Le secret de Gilbert.
Comment faire du neuf avec des voeux?
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